Je ne suis pas mon cancer – par Denis Raymond

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Parfois, il peut être difficile de faire la différence entre TOI le patient atteint de cancer et TOI la personne, surtout quand tu as une anomalie physique comme une cicatrice, une partie du corps qui manque ou, comme dans mon cas, un appareil médical. Bien que la plupart d’entre nous apprennent à vivre avec ça, les regards et les approches malhabiles, par des inconnus qui sont juste un peu trop curieux, continuent à être dérangeants à un niveau fondamental. Tu développes des routines sociales pour ces genre de scénario, pour chaque niveau d’engagement et chaque niveau d’ouverture qu’y t’appelle dans le moment. Pour moi et avec mes électrodes très visibles sur ma tête, en tout moment je pouvais être soit un patient atteint d’un cancer terminal ou, tout simplement, une personne «malade». Je pouvais être un participant d’un essai clinique, ou un cobaye de laboratoire. Des détails peuvent venir et partir, dépendamment de ce que je voulais donner à ce moment-là: la grosseur de la tumeur, où elle était située, les symptômes qui ont permis de la découvrir, comment j’ai trouvé l’essai clinique; même mes habitudes de sommeil et de ma façon de prendre ma douche pouvaient se trouver à l’intérieur de mon histoire!

Mais, après deux ans et demi de vie avec mon cancer incurable, je me suis libéré de ma peau électrique. J’ai arrêté d’utiliser mon appareil médical, ce qui a eu un impact que je ne pouvais pas imaginer. J’ai perdu mon identité.

Selon le sociologue français, Claude Dubar, l’identité a deux composantes : l’identité de Soi et l’identité de l’Autre. L’identité de Soi est celle que nous percevons pour nous-mêmes et l’identité de l’Autre est celle que les autres nous donnent. Une couche externe qui recouvre un noyau interne. Shrek aurait eu raison en partie seulement : nous sommes plutôt des bananes que des oignons. La pelure d’une banane peut nous donner une idée de sa nature ou peut nous indiquer si elle est suffisamment mûre à notre goût, mais la pelure ne peut nous donner un portrait précis de ce qu’il y a en-dessous. La couche externe informe et obscure en même temps.

En conséquence, notre « vraie » identité, celle qui est personnelle et qui existe en nous, est cachée en dessous de la couche de l’identité externe. Et parfois, comme dans mon cas, elle est négligée au point où elle risque d’être complètement oubliée. L’élément Cancer de mon identité externe était si présent que chaque interaction social me faisais remonter et revivre mon identité de patient de cancer, au point où j’ai accepté moi-même que, d’accord, c’est qui je suis. On discute souvent du concept du nouveau normal, et il est toujours présenté comme un nouveau début de notre vie- on est encouragé à abandonner tout de nous-même qui a précédé le moment critique où vous avez reçu votre diagnostic de cancer. On recommence à zéro. Effectivement, c’est souvent plus facile de tenter de créer quelque chose de nouveau au lieu de tenter de ramasser les morceaux de la vie qui a volé en éclats… mais est-ce que “facile” se traduit à “meilleur”, je n’en suis pas certain dans ce cas.

Nous nous retrouvons ainsi en train de mettre ces morceaux de vie et d’identité de côté et nous nous regardons sous un nouvel angle. Malheureusement, cet angle est défiguré par notre traumatisme. L’image persistante de nous comme patient atteint de cancer, ou survivant ou batailleur, ou n’importe quoi que vous vous appeliez, peut se concrétiser dans notre identité, surtout lorsque nous appartenons à une différence visiblement marquante qui envahit nos interactions sociales. Nous pouvons venir à accepter ceci comme étant le nouveau normal. Nous devenons notre cancer et nous l’acceptons.

Le focus social centré sur l’élément Cancer dans ma couche externe par moi-même et par les autres m’a amené à vivre une crise existentielle turbulente. Mon cancer n’a pas tout simplement envahit mon corps, mais aussi mon Être fondamental.

Une fois que j’ai perdu ma peau d’électrodes visible, je me sentais complètement perdu dans le vide de ce qu’était mon identité. J’avais vécu avec mon appareil médical pendant si longtemps que je suis parvenu à m’accepter comme le gars avec le cancer au cerveau. C’était très étrange de constater, tout-à-coup, que les étrangers ne me fixaient plus d’un regard curieux et ne s’approchent plus pour poser des questions gênantes.

Au début, c’est moi qui soulevais mon cancer dans des situations inappropriées, partageant de l’information que les autres ne demandaient pas d’obtenir. Mes interactions sociales ont changés dans un coup d’œil, et je me retrouvais constamment à retomber dans mes points de conversations habituels : mon cancer. Cela m’a pris beaucoup de temps à réaliser que je pouvais changer de quoi je parles- et de l’accepter. Je pouvais passer au-delà et ne pas parler des détails dérangeants de mon diagnostic au barista en attendant mon latté matinal. Je pouvais mettre de côté la grosseur de ma tumeur lorsque je rentrais en conversation avec un étranger. Je n’étais plus obligé à expliquer pourquoi je devais m’asseoir près d’une prise électrique dans n’importe quel restaurant ou autre endroit de rencontre; ce qui était souvent nécessaire pour mon appareil médical. Une fois que je me suis rendu compte que je n’avais plus besoin de parler de mon cancer et que j’étais libre de parler de autres choses, j’ai finalement pu percer des trous dans ma couche externe obscure pour redécouvrir ce que j’avais négligé pendant si longtemps.

Pour ceux et celles qui entrent pour la première fois dans le nouveau monde de cancer visible ou même dans le monde de cancer non -visible, faites de votre mieux pour accepter les changements qui accompagnent cette nouvelle situation. Développez une bonne compréhension de vos limites de conversation et créez votre dialogue explicatif si vous le sentez nécessaire. Cependant, s’il vous plaît, ne négligez pas le noyau interne qui vous définit réellement. Maintenez le contacte avec cette personne à l’intérieur en faisant ce qui vous allume- que ce soit les arts, écrire dans votre journal ou créer et partager les vidéos amusants sur Facebook. N’importe quelle forme de créativité qui donne une voix à votre noyau interne. Et peu importe dans quel état vous êtes, rappelez-vous que :

Vous n’êtes pas votre cancer.

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